Dévorer des yeux : quand les yeux et le palais travaillent ensemble

Publié le 13.09.2018 par Clémence Mermillod
Prendre sa nourriture en photo est devenu une pratique courante. Un rituel qui peut trouver son explication dans les liens entre vue et goût.

Du 16 au 23 septembre, la villa Clythia de Fréjus accueille un stage de photographie centré sur la prise de vue culinaire. L’occasion de s’interroger sur les liens étroits qui se nouent entre notre œil et notre palais.

Nos fils d’actualité regorgent de clichés de nos amis qui nous font saliver. Photographier ses aliments est une pratique à la mode, que certains élèvent au rang d’art. Nous aimons en mettre plein la vue avec nos assiettes, les mettre en scène rien que pour nos yeux. Mais finalement, que nous apportent ces subtilités de présentation ?

Lorsque nous listons nos sens, nous avons tendance à bien les séparer. Or ouïe, toucher, goût, odorat et vue travaillent ensemble, et chacune de nos expériences sensorielles est le fruit de leur coopération. « Il existe ce que l’on appelle le phénomène d’assimilation », explique Catherine Dacremont, professeur en évaluation sensorielle au sein du CSGA/AgroSup Dijon, le Centre des sciences du goût et de l’alimentation. « La qualité de notre expérience de dégustation est comme une moyenne entre le plaisir visuel et le plaisir du goût. Si on goûte un aliment sans le voir, l’appréciation est en moyenne moins bonne. » Évitez donc de bander les yeux à vos juges si vous voulez qu’ils confirment que vous êtes bien le maestro de la paella. Le plaisir de la vue nous satisfait avant même le plaisir en bouche. Attention néanmoins aux petits malins qui tenteraient de faire passer un plat fade pour une envolée gastronomique à l’aide d’amandes émondées et autres filets de balsamique : « Il y a des effets de contraste : si l’aliment n’a pas un goût à la hauteur de son attente visuelle, alors il y aura déception et cela dévalorisera encore plus l’expérience. L’influence fonctionne dans les deux sens. »

Ce phénomène d’assimilation n’est pas toujours équivalent d’une expérience à l’autre. Il existe par exemple une étude intéressante que cite Catherine Dacremont : « Un même jus d’orange était proposé à un panel de testeurs dans différents packagings. La moyenne qu’ils établissaient entre plaisir de la vue et du goût ne variait pas beaucoup. Par contre, la même expérience réalisée avec du champagne montrait un déséquilibre : il y avait des écarts importants dans l’évaluation de la dégustation. Le poids de l’information visuelle peut donc varier. Pour le champagne par exemple, il était plus important. »

Non contents d’influencer notre perception de la consommation d’un aliment, nos yeux peuvent aussi carrément nous induire en erreur. « On sait qu’il y a un impact de la couleur d’un aliment sur ce que l’on va percevoir en le goûtant. On associe les couleurs à des arômes. Un chercheur français a par exemple fait déguster deux vins à des étudiants en œnologie. Un blanc, un rouge. Les étudiants donnaient une description plus centrée sur les fruits rouges pour le vin de cette couleur. Or le vin rouge était un simple blanc teinté en rouge. »

Le cortex orbitofrontal, quartier général de nos sens dans le cerveau.

Néanmoins, cette coordination des sens nous apporte beaucoup. « Le cortex orbitofrontal, une partie du cerveau située à l’avant au niveau du front, regroupe toutes les informations sensorielles qui arrivent vers le cerveau. Le cerveau crée des connexions, vient puiser dans notre mémoire et la nourrir aussi. Cela renforce notre apprentissage. » Nous apprenons en permanence de nos sens ce qui crée des attentes : on peut fortement se douter que l’on va apprécier un aliment rien qu’en le voyant grâce à nos expériences antérieures. Et ce n’est pas seulement lié au goût. « Une simple pomme par exemple est enregistrée sous toutes ses dimensions dans notre cerveau : son goût mais aussi son apparence, sa texture, sa forme. »

En définitive, pour Catherine Dacremont, « la vision est partie intégrante de l’expérience de dégustation. » Voilà qui lève nos dernières pudeurs lorsque nous sortons notre smartphone  pour capturer sans vergogne notre assiette sous toutes ses coutures. 

 

La photographie culinaire à l’honneur à Fréjus

Du 16 au 23 septembre, la Villa Clythia accueille un stage photographique qui propose aux participants de manier l’art de capturer notre assiette, tout en perfectionnant ses qualités de photographes. Des ateliers qui s’adressent aux débutants comme aux plus confirmés. Ce stage est une première et sera animé par deux experts.