L’homme qui voulait nettoyer les mers

Yvan Bourgnon sur son catamaran non-habitable lors de son tour du monde en 2015.

Le navigateur Yvan Bourgnon était le 18 février en conférence au Centre Paul-Langevin d’Aussois pour parler de son combat : la protection des océans. CAES MAG l’a interviewé par téléphone à cette occasion.

Le navigateur Yvan Bourgnon.

En plus de 30 ans autour des mers, Yvan Bourgnon a été aux premières loges d’un drame : la dégradation des océans autour du globe. Avec une pollution importante et visible, celle des plastiques qui s’accumulent aux quatre vents et asphyxient ces écosystèmes fragiles. Alors, Yvan Bourgnon, surnommé dans la presse le « Gladiateur des mers », a retroussé ses manches et participe à un projet d’envergure, The SeaCleanners. A l’aide de bateaux spécialement aménagés, cet amoureux de la grande bleue veut nettoyer les mers. Le 18 février dernier, il présentait son projet ambitieux aux vacanciers du Centre Paul-Langevin d’Aussois. Rencontre.

CAES MAG. En 2015, vous êtes rentré d’un tour de monde « à l’ancienne » : sans cabine, sans GPS, sans assistance. Pourquoi ce choix ?
Yvan Bourgnon.
J’avais vraiment envie de revivre ce que j’avais vécu jeune. J’ai fait un tour du monde avec mes parents lorsque j’étais enfant, j’avais entre 8 et 12 ans. Après ça, j’avais des rêves de tour du monde. Alors dans ces conditions, c’était mon Everest à moi : réaliser le premier tour du monde en voilier non-habitable.

Est-ce que cela change quelque chose dans le rapport à l’Océan, cette absence de technologies ?
J’ai adoré ces dernières décennies toutes les innovations technologiques en matière de navigation, je veux dire, c’est passionnant de travailler avec des ingénieurs ! Mais enfant, avec mes parents, on n’avait pas de GPS, rien. C’était de la navigation pure. Je me suis dit, revenir à poil, sans rien, est-ce qu’on peut encore le faire ? Inch’Allah ! Au rythme du soleil et de la nature ! Pêcher pour manger…. C’est un besoin de l’humain : la nature, se connecter aux valeurs essentielles de la vie.

Vous naviguez depuis plusieurs décennies. Qu’avez-vous observé comme évolution depuis 30 ans au niveau des océans ?
A la fin des années 1970, la mer est propre. 35 ans après, lors de mon nouveau tour du monde, mon dieu ! En 35 ans, on a exterminé l’océan. Et c’est ma génération qui était aux commandes ! On est peu à voir cela finalement. Être arrêté par les filets, les sacs plastiques… Il y a de la pollution partout.

En mer, on le voit ?
Surtout lorsqu’on est proche des côtes. Au niveau des embouchures aussi. En pleine mer, ce sont plutôt des microbilles de plastique, une pollution qui, elle, est invisible.

Vous tentez d’alerter sur la pollution plastique des océans. Pouvez-vous nous parler de votre combat ?
Notre combat est organisé sur trois fronts : une partie porte sur l’éducation, la sensibilisation. On propose des kits pédagogiques, on donne des conférences. Le deuxième volet, c’est la collecte des déchets avec un bateau dédié, c’est le projet SeaCleanners. Enfin on propose un accompagnement adapté dans les pays en voie de développement. L’idée est d’y favoriser le développement de circuits circulaires : ramasser les déchets et les transformer, notamment grâce à l’installation d’unité de traitement des déchets par pyrolyse. Si on démontre la valeur ajoutée du recyclage, c’est gagné.

Le SeaCleanner, qu’est-ce que c’est ?
C’est une invention. Le fruit de 12 000 heures d’étude de faisabilité. C’est un projet qui permettrait la collecte des plastiques en mer.


C’est quoi cette machine pour nettoyer les mers ? Elle est assez étonnante ! Pouvez-vous me la décrire un peu ?
Le bateau serait doté d’une autonomie totale : avec le solaire, le vent et la pyrolyse à bord pour faire avancer le bateau… avec les plastiques récoltés ! Et cela sans rejeter de CO2 ! Les plastiques pas trop dégradés pourront être mis de côté pour être, eux, recyclés, grâce au travail des 12 opérateurs à bord.

Où en êtes-vous de ce projet ? Quand doit-il voir le jour ?
Le projet a trois ans d’existence. On a déjà rassemblé 8000 donateurs et 30 mécènes. Le coût est important, 30 millions d’euros, alors il faut convaincre de financer ce projet. Mais finalement, cela revient à investir 500 euros par tonne de déchets récoltée. Les poubelles jaunes en France, c’est environ 450 euros par tonne. Finalement, récolter les déchets en mer, cela ne coûte pas plus cher que sur terre.

Ce projet, n’est-il pas trop petit pour un problème si immense ?
Avec 300 bateaux bien répartis, on retire 30% des déchets rejetés en mer, soit 3 millions de tonnes ! Ce n’est pas rien. Après, il est évident que ce problème est global. Tout le monde doit contribuer. En ramassant les plastiques, en créant des plastiques biodégradables… Les COP 22, cela a échoué, rien n’avance. Parce que c’est global, et ça c’est un combat, beaucoup ont du mal à le comprendre. Les pays riches doivent contribuer à l’effort global.

Vous réalisez de nombreuses conférences. Votre public est-il conscient des enjeux ?
Chez les jeunes, oui. Chez les plus âgés, c’est plus compliqué. Quand je donne mes conférences, les gens sont vraiment concernés. Ils sont bousculés après. Il y a du travail après pour passer à l’action écologique, mais ça crée des déclics. Ce qui me rassure en France, et plus généralement en Europe, c’est que les gamins sont formés. Les instits font un travail formidable là-dessus. La solution ultime va arriver par les jeunes.

Ce partage, c’est important, ça peut faire bouger les lignes ?
Le SeaCleanner, son boulot, c’est d’aller au-delà de la France. 80% de la pollution, c’est dans les pays en voie de développement. Après tu entends « non mais moi ça va, je suis écolo, je fais attention ». Oui, mais vous avez acheté chinois pendant 40 ans, maintenant, la pollution, elle est là-bas ! La transformation n’est pas simple. 40% de la pollution des océans, ce sont les sacs plastiques et les bouteilles plastiques. Il y a donc vraiment une responsabilité des industries et des particuliers.

Vous avez fait plusieurs rencontres en Savoie, notamment au Centre Paul-Langevin d’Aussois. Les montagnards sont sensibles aux problèmes des océans ?
Bon il y a moins de monde dans les conférences en montagne qu’à la mer. Mais j’ai senti des gens très proches de la nature, plus que dans les villes. Ils y sont sensibles, sont touchés. Il y a un public de 7 à 77 ans. Cela concerne tout le monde. Le drame en Europe, c’est que l’on a trente ans de retard. Il fallait anticiper… Cela va plus vite d’anticiper les besoins du consommateur que ceux de la nature !

Votre espoir pour l’avenir des océans ?
Que tout le monde contribue à l’effort ! Il n’y a pas de baguette magique mais il faut des impulsions. Collectez les plastiques en vacances ou le dimanche en bord de mer, arrêtez le tout plastique, faire son tri. Et puis devenir intolérant à certains comportements ! Moi quand je me retrouve en forum sur l’environnement et que je vois une table ronde avec 50 bouteilles d’eau en plastique, je gueule. C’est une honte ! Il faut que les gens le comprennent et sortent de cette logique du plastique à usage unique.

Question curieuse : pourquoi « le gladiateur des mers ? »
Ah, c’est après ce tour du monde… C’est un surnom qui est sorti et c’est resté. Mais moi je me vois comme un aventurier avant tout.