La petite fille à la robe rouge de Thalsa-Thiziri MEKAOUCHE

Prix Catégorie Ado – Concours de nouvelles 2018

 

Les yeux fixés sur la poussière qui tourbillonne, elle attend que ça s’achève. Nuls regrets dans son regard, elle est trop jeune pour même comprendre ce que c’est. Nuls remords aussi, trop innocente pour en avoir. Elle attend sans trop savoir quoi.

Ah si, elle se rappelle, elle attend que la douleur de son cœur et de son corps soit effacée. Qui lui a fait ça, pourquoi, elle ne le sait pas.

Elle ne sait décidément pas grand-chose.

Par exemple, où sont les adultes ? Sa mère, si douce, son père si fort…

 

Alors elle ne comprend pas ça ne s’achève pas. Elle est là, par terre, le souffle douloureux, ses yeux d’enfant grands ouverts à attendre une chose qu’elle sent déjà et dont elle devrait ignorer l’existence, la mort.

Avant, dans son quartier, son monde se résumait à cela, tout allait bien. Aussi bien que peut l’être un quartier à travers les yeux d’un enfant heureux. Mais un jour, des hommes sont venus, ils criaient, se revendiquaient de quelque chose, faisaient prendre les armes aux hommes et acquiescer les femmes.

C’est à ce moment-là que tout s’est effondré. La guerre est venue, elle est arrivée sous forme d’hommes. Mais ça, personne ne le savait, ne le comprenait. Peut-être cet homme là-bas, sous un arbre. Le seul dont les yeux affaiblis par l’âge, qui ne s’y trompait pas. Il voyait la guerre et la désolation venir.

Mais, on lui dit qu’il était vieux, peureux, inutile. Il leur répondit qu’ils ne savaient pas, qu’ils étaient trop jeunes, lui en avait vu d’autres… On l’ignora.

Lui aussi finirait dans la tombe, comme ceux qui l’avaient ignoré.

Mais ça ne changeait rien au destin de la petite fille à la robe rouge. Quand elle regarde le caillou qui s’est accroché à la manche déchirée de sa robe. Elle se rappelle. Son frère et elle, qui s’amusaient à jouer dans la terre. Son petit bout de tissu qui lui servait de doudou pendu à sa bouche baveuse de bébé. Lui aussi était parti. Elle se rappelle ses yeux tendres et son petit corps qu’elle aimait dorloter dans sa chambre.

De sa chambre il ne reste que la poussière dans laquelle elle est étendue, mélangée à celle de la terre du jardinet sur laquelle elle jouait naguère.

 

C’est arrivé pendant la nuit. Une déflagration énorme. En un dixième de seconde, toute sa vie s’est envolée. Et elle, survivante à son univers de quelques instants, elle attend qu’on vienne à son tour l’emporter. Elle sent pourtant, qu’on la tire, qu’on tente de la faire disparaître. Mais la petite lutte dans un dernier instinct de survie. Elle ne veut pas après tout que sa vie s’achève ainsi dans un dernier râle d’agonie. Alors, de sa voix brisée de petite poupée aux grands yeux et au corps cassé, elle chante. Une mélodie douce, une mélodie qui emporte tout. L’horreur des hommes, leur haine et leur destruction.

Son chant la ramène à ce monticule de terre où elle jouait avec son frère.

Elle sourit. Et longtemps après que son chant se soit éteint, elle gardait encore son sourire, jouant, innocente, dans les cieux.

 

C’est ainsi qu’elle mourut. Dans une rue sombre et démolie, dans la région de la Ghouta Orientale.

De son quartier ne reste rien, de sa maison que poussière, seulement sa petite robe rouge de poupée aux grands yeux et au corps cassé.

Des rues comme celle de la petite fille, il y en a eu des milliers, des fillettes, des enfants brisés, il y en a eu sans doute autant qu’il y a de rues dans la Syrie toute entière.