[Portrait] Moreno Andreatta, le « mathémusicien » enchanteur

Publié le 13.12.2017 par Charles Gaudin - journaliste
Moreno Andreatta © Vincent Martin

Portrait de Moreno Andreatta, brillant pianiste lors du Gala des 60 ans du CAES et Directeur de recherche au CNRS, à l’IRCAM et à l’IRMA. Histoires de transversalités, miscibilité entre musique et mathématiques…

Ses mots sonnent comme ses doigts dansent sur le clavier d’un piano : avec délicatesse, souplesse, justesse et clairvoyance. Féru de mathématiques et de musique, Moreno Andreatta, 46 ans, a appris à jouer du piano avant de savoir compter. Il sait aujourd’hui combiner ses deux passions. Il en parle avec gourmandise. Capte aisément l’attention de ses interlocuteurs. Les fascine, les convainc, les emmène… D’une voix aussi douce que grave, teintée d’un espiègle accent italien. « Mathémusicien », comme il aime se définir et comme le journal Le Monde l’a récemment qualifié, il s’intéresse en particulier à la formalisation algébrique des structures musicales. Et il partage cette appétence dès qu’il le peut.  

J’aime beaucoup la transmission des savoirs auprès des plus jeunes, aussi bien sur des sujets qui touchent aux mathématiques et à leurs rapports avec la musique, mais aussi à la musique en tant que telle », explique-t-il. « C’est le cas avec mes étudiants et les musiciens que je côtoie. J’essaie aussi de faire des expériences pédagogiques avec mes enfants, Kiara et Julio, 7 et 9 ans, qui apprennent à jouer de la guitare et du piano, en leur montrant comment les notes et les nombres sont liés.

Pianiste pour le Gala des 60 ans du CAES, le samedi 2 décembre au théâtre du Ranelagh, Moreno a confirmé son pouvoir de séduction et d’émerveillement dès la veille de la soirée d’abord : auprès de lycéens, venus le rencontrer à l’IRCAM dans le cadre de leurs TPE (travaux personnels encadrés) sur les liens entre géométrie et musique, puis auprès de Bintou Niabaly et Catherine Flament, deux chanteuses avec lesquelles il a répété les titres au programme du Gala, il  a offert une écoute, une bienveillance, et a distillé « de précieux conseils qui font avancer et devenir meilleur », savoure Bintou, 20 ans, entre deux répétitions de « I Have Nothing » de Whitney Houston. « Bintou et Catherine ont toutes les deux un talent remarquable, chacune dans son univers personnel, et ont une présence sur scène qui n’a rien à envier aux chanteuses professionnelles ! », promet Moreno.

Moreno Andreatta © Vincent Martin

Devant le public enthousiaste du Ranelagh, il a donc accompagné, ce samedi soir, ces deux chanteuses (sur des musiques de Boris Vian et Whitney Houston) ainsi que l’ensemble des artistes qui se produisaient sur scène. Le pianiste a également présenté deux de ses compositions personnelles (« La sera non è più la tua canzone » et « Una storia d’amore finisce una volta soltanto« , construites avec des techniques mathématiques et illustrées par la projection d’une vidéo révélant les structures géométriques sous-jacentes.

 

J’espère avoir réussi à donner une petite idée d’un sujet pour lequel une conférence-concert entière serait nécessaire », sourit-il. Point d’orgue, pour lui, d’une « journée fantastique – avant, pendant et après le gala – qui m’a permis de rencontrer et d’échanger avec de nombreuses personnes passionnantes dans une très belle ambiance.

Dès les années 1970, Moreno a su charmer son auditoire. Né à Schaffhausen, en Suisse, de parents émigrés italiens, il apprend avec brio le piano sur les traces de son père, lui-même pianiste et qui dirige aujourd’hui des chœurs de montagne et des chœurs d’église en Italie. A trois ans, Moreno reproduit la mélodie de l’Eurovision. Son premier public ? Ses compagnons de crèche… « Tous les enfants chantaient, accompagnés par cet Italien qui ne parlait pas suisse-allemand mais qui parvenait finalement à se faire comprendre autrement… », se souvient-il.

Outre l’improvisation, sur scène ou en petit comité, Moreno aime particulièrement mettre en musique des textes de poètes. Il a commencé en Licence de mathématiques à l’Université de Pavie, en Italie, au début des années 1990. « J’ai aujourd’hui un petit répertoire d’une soixantaine de chansons, en français, espagnol, anglais, allemand, italien et même en argot « pinaitro » de ma région de Trente grâce à mon oncle poète, Livio. »

Premier au concours de piano « O. Giulotto » de Pavie, en 1995, pour ses improvisations sur le concert de Cologne de Keith Jarrett, il découvre, en Master 2 de mathématiques,  la musique formalisée du compositeur grec Iannis Xenakis, pionnier de l’utilisation des mathématiques en musique savante : une révélation. Arrivé en France en 1998, il finance dès 2000, sa thèse en musicologie computationnelle en improvisant au piano-bar, chaque samedi, à bord du « Bretagne », de la compagnie des Bateaux parisiens. L’art, encore et toujours, de jongler entre la musique et les mathématiques…

Musique et mathématiques indissociables depuis longtemps dans l’esprit de Moreno. Aujourd’hui, il aspire à jouer davantage, « ce qui m’oblige à quelques acrobaties entre mes différentes activités ». Sa femme, Wiebke Drenckhan, elle aussi chercheuse au CNRS (en physique) et pour laquelle il a écrit les arrangements de ses chansons pour piano et accordéon, l’incite régulièrement à se consacrer à la musique dans les années à venir estimant (« elle n’a pas tort », dixit Moreno) qu’il a davantage de facilités à enchaîner des accords et des mélodies que des chiffres et des théorèmes… « Mais j’aime trop la recherche pour la mettre de côté. Surtout, certaines idées musicales naissent de mon activité de chercheur ! Du coup, je continue les deux en parallèle en attendant que l’une de mes chansons devienne un tube », dit-il dans un clin d’œil. « Il faudra alors je fasse un choix… »

Voir les chansons hamiltoniennes et permutationnelles de Moreno Andreatta

Voir l’intégrale du Gala des 60 ans du CAES

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